Play Strindberg

La traduction d’une création d’après Strindberg

August Strindberg

Friedrich Dürrenmatt

August Strindberg. Ecrite en 1900-1901, sa Danse de mort met en scène, sur une île de garnison surnommée le « Petit Enfer », Edgar, capitaine, et Alice, ancienne actrice. Tous deux fêtent leurs noces d’argent – 25 ans de rituelles et violentes scènes de ménage mâtinées d’un humour cruel.

En 1968, Friedrich Dürrenmatt refond la pièce de Strindberg qu’il juge trop littéraire : « j’emprunte à Strindberg la fable et l’idée théâtrale de base. Tandis que j’élimine son côté littéraire, il se révèle combien sa vision théâtrale est déjà moderne : proche de Beckett, de Ionesco, mais aussi de mon ‘Météore’. Le texte définitif résulte d’un épuisement de chaque situation théâtrale. De trois acteurs naît l’unité d’un trio s’efforçant au jeu le plus exact. Démonstration d’acteurs. »  

1971. Walter Weideli assure la traduction de Play Strindberg pour sa création française sur les planches de La Comédie : « les phrases de Dürrenmatt sont sèches, sans flou, seuls les mots essentiels ont été conservés. Il fallait trouver en français l'équivalent de ces ‘passe-partout’ qui ouvrent, en allemand, deux ou trois serrures. » 

Walter Weideli


 

« C’est une véritable opération d’alchimiste qu’a réussi là Friedrich Dürrenmatt »

« Une matière dure et résistante, un peu fanfreluchée dans les entournures, mais absolument moderne dans sa structure, dans sa trame. Il s’agissait d’en faire fondre tout l’embonpoint superflu que les années lui avaient collé. Il s’agissait d’en garder le noyau, la pulpe, dérider la peau d’un fruit encore plein de vitamines… »

L'Express

Révérence ou mise à mort ?

« Dürrenmatt a-t-il assassiné Strindberg ? »

Réponse de William Jacques, metteur en scène, à Walter Weideli, traducteur


 

Saluée majoritairement par la critique romande, plutôt boudée par le public, Play Strindberg polarise les extrêmes. 

« Œuvre originale », « excellemment interprété, remarquablement mis en scène », « jamais univers domestique ne s’est trouvé si accessible, jamais gestes routiniers n’ont paru si chargés de significations », résume Antoine Scheuchzer dans La Gazette de Lausanne. »

Pour La Tribune, en revanche, la pièce « n’est pas une grande œuvre de Dürrenmatt, mais une entreprise assez artificielle qui n’ajoute rien à son imagination, à sa renommée. Strindberg trouvait qu’il manquait d’humilité, parce qu’il n’osait pas se suicider. Il existe des personnes moins modestes que le génie suédois », conclut, grinçant, le journaliste.

‘Inspiré de’…
Un sésame pour l’adaptation ?

« William Golding aurait détesté cette adaptation »

William Golding

En 1998, l’adaptation de Sa Majesté des Mouches écrite par Olivier Chiacchiari et mise en scène par Claude Stratz crée une furieuse polémique entre les héritiers du Nobel de littérature anglais et La Comédie. 

Revenant in extremis sur leur décision d’annuler la pièce, les ayant droits, par l’intermédiaire des éditions anglaises Faber&Faber, imposent la distribution de ce communiqué désapprobateur au début de chaque représentation.

En jeu ? L'intégrité bafouée du roman.

Agés de 6 à 12 ans, les héros de Golding, emmenés par leurs chefs Ralph et Jack, dévoilent, par leurs actes, deux origines à la violence : la peur et le sadisme gratuit.

« Du roman à l’adaptation, c’est tout bonnement une vision de l’homme et du Mal qui se transforme »

Pierre-Louis Chantre

A l’instar de Steph et Marc, les ados de 16 à 18 ans brossés par Chiacchiari, phagocytés par la peur, se révèlent irresponsables de leurs actes.

Le vol des lunettes de Porcinet

« Claude Stratz dépouille le roman à l’extrême pour mieux le tirer vers la tragédie »

Un des enjeux majeurs du roman – puisqu’elles permettent d’allumer le feu – les lunettes de Porcinet engendrent une scène peu théâtrale.

« Dans le roman, raconte Claude Stratz, il y a le groupe de Ralph (Steph dans la pièce) qui est dans une cabane et tout à coup les autres arrivent qui se jettent dessus, bagarre, cohue, et après on entend : ‘Ils m’ont volé mes lunettes’. » 

Depuis les tragiques grecs en passant par toute la tradition du théâtre classique français, on a généralement recours au récit pour informer le public de ces événements-là, puisqu’on ne peut pas les montrer. Mais avec Olivier, on n’y tenait pas. Ce problème n’était pas réglé dans le scénario et c’est Olivier qui a trouvé la solution, en plusieurs étapes. »

La solution de Stratz et Chiacchiari

Claude Stratz : Dans une première version du texte, un des chasseurs arrachait les lunettes de Porcinet ; à ce moment-là, Porcinet prenait la conque, les réclamait, et les chasseurs le tuaient.

Olivier Chiacchiari : C’était une esquisse de solution, et en même temps, on était tous les deux en train de se dire qu’on pouvait trouver mieux.

Claude Stratz : Parce qu’on restait dans le successif. Les événements se suivaient sans être articulés.

C’est une négociation, un rapport de force à travers le langage.
C’est du pur théâtre.

Olivier Chiacchiari : Je sais que les réponses de ce type se trouvent dans l’écriture…

Claude Stratz : Tu veux dire : en écrivant… ?

Olivier Chiacchiari : Exactement…

(…) Alors, je réécris la fin de la scène du festin, quand Steph et Porcinet s’approchent du feu où rôtit le cochon. Il viennent sous le prétexte de chercher Simon, mais on comprend qu’ils meurent de faim. Ils ont envie de la viande. Et l’enchaînement se produit naturellement : les autres refusent de nourrir Porcinet parce qu’il est gros. Ils lui disent qu’il n’a qu’à maigrir. Porcinet insiste, promet tout ce qu’ils voudront demander, contre un morceau de viande, et il donne ainsi l’idée à Marc de lui demander ses lunettes.

« On substitue un troc à un vol, et c'est une belle chose, parce que le troc passe par les mots. »


 

Inspiré de…

« La Comédie devrait annoncer un spectacle ‘inspiré’ du roman. Cette précision ne fâcherait sans doute plus personne. »

La colère de la fille de Golding s’appuie notamment sur l’adjonction d’un monologue d’ouverture en voix-off – fixant les événements dans le récit d’un cauchemar ancien – la francisation des noms (Steph et Marc vs Ralph et Jack) et une fin détournée (la traque finale de Ralph par toute la bande est remplacée par un duel à mort entre Stef et le prétendant au pouvoir – « une course-poursuite étant irréalisable au théâtre » argue Olivier Chiacchiari).

Même si dans le communiqué final, précisent les éditions londoniennes Faber&Faber, « la fin et le changement des prénoms ne sont que des détails. Ce sont les idées de Golding sur la violence que nous ne retrouvons pas dans ce texte » concluent-ils.

« Nul doute qu’une oeuvre, même récente, doit pouvoir être réappropriée. Mais dans ces circonstances, la pièce de Chiacchiari ne devrait pas s’intituler ‘Sa Majesté des Mouches’ (qui est l’autre nom de Belzébuth) et la Comédie devrait annoncer un spectacle ‘inspiré’ du roman. Cette précision ne fâcherait sans doute plus personne » résoud Pierre-Louis Chantre dans L’Hebdo.


 

De Méphisto à Rien qu’un acteur

Goebbels l’aiguillon

G. Gründgens et J. Goebbels

« C’est une photo dans un journal allemand qui enclenche le processus d’écriture chez Klaus Mann. Depuis longtemps, poussé pas des amis, il songeait à écrire le roman d’une carrière sous le IIIe Reich. Voir cette photo de son ancien partenaire de scène, de celui qui avait été le mari de sa sœur, certes brièvement, lui qui avait mis en scène ses premiers essais au théâtre, de ce communiste de salon qui serrait la main de Goebbels l’a finalement décidé à se mettre au travail. »

Mathieu Bertholet 

De l’histoire à la fiction de Klaus Mann

Au départ, il y a la commande qu’Anne Bisang passe à Mathieu Bertholet autour du Méphisto de Klaus Mann. Le roman raconte la trajectoire de l’acteur Gustaf Gründgens, ami des farouches antifascites Klaus et Erika Mann, qui se livrera à de telles compromissions avec le régime hitlérien pour réussir sa carrière qu’il en deviendra l’acteur phare.


 

Klaus et Erika, enfants terribles de Thomas Mann, ont choisi l’exil et l’écriture pour combattre le fascisme

Gustaf Gründgens
D’idéaliste révolutionnaire, l’ami des Mann devint irrésistiblement l’un des artistes les plus serviles du régime nazi

Dans son rôle fétiche du Méphisto de Goethe, en 1941

« Pour ce faire, Klaus a effectué un travail de fictionnalisation : il a modifié ostensiblement la réalité, changé les noms, condensé des personnages, travesti certains comportements, œuvrant ainsi à une frontière trouble entre le réel et la fiction qui a paradoxalement permis d'interdire le livre, parce que son héros était trop proche du véritable Gründgens pour que les actions fictives qui lui sont imputées ne soient pas qualifiées de mensongères et de diffamatoires ». 

De la fiction à l’Histoire chez Bertholet

A l’arrivée, la pièce de Bertholet n’est pas l’adaptation théâtrale du roman de Klaus Mann.

Il « saisit cette matière et lui fait subir le traitement inverse : il re-historicise la fiction, redonnant à chacun son identité et sa trajectoire, précise Arielle Meyer MacLeod.

Mais il opère surtout un élargissement de focale : Klaus Mann, qui n'apparaît pas dans son propre roman, est avec Gründgens le personnage central de cette pièce.

La matière du roman est resituée dans le contexte qui l'englobe, celui d'affinités électives et de liaisons dangereuses sur le fond sombre et chahuté de la montée du nazisme puis de l'exil. » 

L’ambassade à boyau de Koolhaas

« Parler de construction n'est pas un vain mot. Mathieu se nourrit en effet d'architecture pour composer son texte. Il dit avoir travaillé ici à partir d'un bâtiment précis, celui de l'ambassade de Hollande à Berlin conçue par Rem Koolhaas, sur le modèle duquel il a échafaudé son plan d'écriture. »

« Ce bâtiment est apparu à Mathieu Bertholet comme une actualisation spatiale du récit qu'il était en train de composer » 

Ambassade des Pays-Bas à Berlin

« L'immeuble est formé d'un bâtiment central traversé de haut en bas par une sorte de boyau qui descend par paliers vers le bas, et d'une annexe reliée au bâtiment principal par des passerelles présentes à tous les étages. 

Cette configuration illustre à la fois la trajectoire de Gründgens, dont le destin suivrait ce long tuyau décroissant, et celle des Mann qui emprunteraient les passerelles permettant de gagner l'exil, ce lieu – séparé du corps central de l'édifice tout en lui étant contigu – et relié par des appontements donnant à tout moment la possibilité de traverser d'un espace à l'autre. » 

Arielle Meyer MacLeod

Mathieu Bertholet

« Je m’interroge moins sur que raconter que sur comment le dire.
Plus le matériau est précis et connu, plus je peux travailler la forme sans m’inquiéter de savoir si l’intrigue est cohérente, suffisamment claire, etc.
Je peux donc aller plus en profondeur, écrire de manière plus sensuelle aussi. C’est la structure de mes pièces qui m’intéresse. »