Caricature d'André Talmès

« Il y a de bons adaptateurs.
Mais une pièce qui triomphe à Londres ou à New York, forcément... traduire-trahir !  »


 

Shaw : étude comparative

Octobre 1960. Grande première pour l’ouverture de saison : jouée en deux langues, la Charrette de pommes de George Bernard Shaw a permis de se livrer à une stimulante confrontation. 
Tandis que William Jacques s’emparait de la mise en scène de la traduction française avec la troupe de La Comédie, Ellen Pollock assurait celle de The Apple Cart avec les étudiants de la Royal Academy of Dramatic Art de Londres. 


 

« Plus de couleur, d’éclat et de comique dans celle de William Jacques, mais aussi un jeu plus relâché et glissant parfois, surtout lors de la première séance du cabinet, à un rien de vulgarité. »

Eugène Fabre

« Rigueur au contraire de la part de Mme Ellen Pollock, mises en place expressives, et tout pris dans un ton d’ironie. »

Eugène Fabre

Pourquoi ces différences ?

« Parce que Mme Pollock a eu affaire au texte original » constate Eugène Fabre.

« Le style agressif du dialogue (le théâtre de Shaw est incroyablement bavard) et les paroles prêtées aux personnages en font un extraordinaire morceau d’humour, d’ironie, de cynisme aussi. Cela, hélas ! est vrai avant tout dans la langue originale, enchérit André Buholzer dans les colonnes de La Tribune, puisque l’on en est toujours réduit sur la scène française, à utiliser les insipides traductions de A. et H. Hamon. »

« Reste cependant à savoir si l’on peut adapter (au plein sens du terme) l’esprit shawien à notre langue. Il est permis d’en douter. »

André Buholzer


 

Le cas du grand Will

Roméo et Juliette, 1916

Représentée dans son intégralité en 1916 – audace pour laquelle Ernest Fournier sera encensé dans la presse – Roméo et Juliette souffre d’une piètre traduction.

Le chroniqueur de la Gazette de Lausanne soulève alors la question de l’adaptation, rejoignant les conclusions de son confrère de La Tribune à propos de Shaw et la formule choc d’André Talmès

« A vrai dire, c'est surtout lorsqu'il s'agit du grand Will que la traduction fait souvent l'effet d'une trahison. La transition de la prose aux vers et vice-versa cesse d'être sensible, et les passages lyriques et poétiques sortent décidément fort diminués de l'épreuve. Voyez la tirade de la reine Mab, par exemple : quelle différence entre l'anglais et le français ! Et la conversation au balcon ! Et la scène dans la chambre de Juliette ! Que tout cela est pâle et décoloré, transporté dans une prose étrangère ! »

Gazette de Lausanne

« C'est ici que l'on sent le besoin, soit de la traduction en vers par un grand poète, soit de l'adaptation musicale par un grand compositeur »

Othello, le grand écart

En 1995, le Teatro Malandro d’Omar Porras s’empare d’Othello. La troupe s’en inspire… tout en prenant de considérables distances avec la tragédie.

Si elle en a « gardé la trame, des personnages, des situations, en revanche la langue de big Will ne se fait point entendre. Sa puissance verbale n’a pas survécu aux coupures, aux montages, à l’improvisation, et s’il en était resté des bribes, la diction ou les accents des acteurs se seraient chargés de les réduire à néant. »

René Zahnd

« Le spectacle est un montage de différentes traductions (cinq traductions de quatre langues différentes), un assemblage de scènes ajustées comme les losanges multicolores d’un habit d’Arlequin, avec une apparente insouciance, avec un art consommé du grotesque et de la fraîcheur (…). »

Colette Godard

1983, Hamlet, mise en scène de Benno Besson.

S’il a l’embarras du choix face aux multiples traductions marquées par des traditions littéraires et dramaturgiques différentes selon les pays, Benno Besson se trouve confronté au même problème lorsqu’il monte Hamlet en 1983.

Car toutes ont en commun « la difficulté à restituer l’incroyable richesse d’images et d’expressivité de la langue de Shakespeare, héritage de prose latine, dialectes ruraux, provinciaux, jargons des métiers, préciosité des courtisans, truculence du peuple » rappelle Valérie Bory dans le magazine Femina.

Benno Besson sur le plateau d'Hamlet, 1983

« Et chez Shakespeare, dans un seul mot il y a souvent plusieurs sens, jeux de mots, calembours, allusions obscènes parfois. Mais aussi une poétisation de l’univers qui est fantastique. »

Benno Besson

Pirandello : danger sur scène

« Une réplique mal dite, mal comprise, qui tombe à faux et le drame sombre dans le mélodrame »

« Le langage et le dialogue de Pirandello sont le plus souvent quotidiens, rudes et populaires s’il le faut. On parle comme dans la vie, avec tout ce que cela comporte de dangers sur une scène. 

L’autre responsabilité, peut-être la plus écrasante, est celle de l’adaptateur car, à ce dialogue quotidien, à ces phrases qui parfois n’aboutissent pas, à cette couleur dialectale, il est plus difficile de trouver des équivalences que dans un dialogue académique ou classique. 

Or, le dialogue de Pirandello n’est que le support de l’action, le fil conducteur du drame : il n’est rien en lui-même, ne contenant que l’expression naturelle des personnages et de leur drame sans aucun effet d’écriture. »

Denise Lemaresquier, adaptatrice de Comme avant, mieux qu’avant
 


 

Dominique Rozan - Dr Gelli

« Cette sorte de langage fait prendre une lourde responsabilité aux comédiens. Ils courent de grands risques et ‘travaillent sans filet’ »

Inès Nazaris - Fulvia

Le manque de relève dramatique

« Il n’y a pas la relève d’un Marcel Pagnol, d’un Salacrou, d’un Jacques Deval (…) C’est ce qui fait que le théâtre français fait appel au théâtre anglo-saxon »

André Talmès