Une attente disproportionnée

Optimiste, la critique dramatique soutient la nomination de Richard Vachoux et, partant, la « consécration de ce répertoire (poétique et d’avant-garde), agréé officiellement par l’organe de direction d’un théâtre réputé traditionaliste. Souhaitons que le nouveau directeur puisse amorcer, les coudées franches, un revirement novateur : dans le mode de production des spectacles, dans le choix du répertoire et des troupes étrangères invitées. »

Daniel Jeannet

1973, Le Roi Louis de Marian Pankowski

« Ce qui est indiscutable, c’est son ardeur intacte et sa curiosité toujours à l’affût de beaux textes à révéler au public.
La liste en est impressionnante, d’Audiberti à Witkiewicz, en passant par Ionesco »

Plus vite, moins vite

Pas de baguette magique

Première de l’indépendance artistique, la saison 1976-77 se clôt sur des chiffres décevants, soit un déficit de 114 000 francs. 

Bercée par l’illusion d’une rupture radicale, la presse s’impatiente et affûte ses critiques.
Richard Vachoux lui objecte que « l’imprégnation ‘parisienne’ qui traîne encore au coin des esprits » justifie la fréquentation insuffisante. 

Appuyé par le Conseil d’administration, il plaide pour une période de transition de trois ans. 

Rénovation communiste?

Mme Lise Girardin

« Quand Madame Girardin, notre ministre de la culture à l’époque où j’étais directeur de la Comédie, m’a dit :

— ‘Vous savez Monsieur Vachoux, vous n’arriverez à aucun résultat si vous ne plantez pas sur le toit de la Comédie la faucille et le marteau’,

je lui ai dit :

— ‘Mais Madame, donnez-moi l’argent pour le faire, cela implique toute une construction !’»

R. Vachoux et J. Lambert, Rêverie de l’acteur solitaire 


 


 

« Les Genevois venaient se poser au centre de la place Neuve comme sur le nombril du monde, et en regardant autour d’eux pensaient :

au fond, qui sommes-nous ? Où vivons-nous ? Nous sommes des bourgeois, nos bâtiments ressemblent aux bâtiments parisiens… en plus petit. 
Voici l’opéra, voici le Conservatoire… il nous suffit de mettre un manteau de fourrure (pour les femmes), une cravate à col cassé (pour les hommes)… et nous sommes à Paris !
Nous achetons nos billets, et nous sommes comme à l’Opéra de Paris, comme à la Comédie-Française, etc.

Voilà comment Genève s’est constituée culturellement. Cette ville est un comme si, une imitation. L’arrogance des bourgeois d’ici calquée sur celle des bourgeois de là-bas. Plutôt indifférents d’ailleurs à ce qui se jouait sur scène… à ce qui se passait là-bas au fond et qui était censé motiver leur venue dans… enfin, surtout autour…des fauteuils. »

Richard Vachoux

« Nous achetons nos billets, et nous sommes comme à l’Opéra de Paris, comme à la Comédie-Française, etc. »

La querelle s’envenime

Bobosse allume la mèche

En 1978, le four retentissant de Bobosse, vaudeville d’André Roussin aux accents parisiens, cristallise la polémique. 

Aux accusations d’éclectisme excessif, de soumission au théâtre de consommation, de manque de prises de risque et de malversations financières, Richard Vachoux reconnaît des erreurs de programmation mais répond surtout absence de moyens, architecture inappropriée et manque de soutien et de responsabilité de la presse : elle « a joué un rôle extraordinairement pernicieux en ce sens qu’elle a toujours dit que, quantitativement, la salle n’était pas pleine. Elle n’a jamais dit de quelle manière les spectateurs accueillaient le spectacle » reproche-t-il au cours de la mise au point qu’il accorde à Roger d’Ivernois dans les colonnes du Journal de Genève du 11 octobre 1979.

Et de citer les omissions coupables – « le nombre de rappels pour les œuvres comme ‘La visite de la vieille dame’, ‘Candide’ de Voltaire-Weideli, ‘Louis II de Bavière’ et ‘Lulu’. »

1977, Lulu de Wedekind, mise en scène de Henri Ronse

« ‘Lulu’ ! Voilà le vrai scandale de la presse genevoise qui a mis sur pied un véritable complot orchestré pour récuser le spectacle »

1973, Le roi Louis de Marian Pankowski, mise en scène de Jean Monod

1978, Candide de Voltaire, adaptation de Walter Weideli, mise en scène de Richard Vachoux

1978, Bobosse d’André Roussin, mise en scène de Jean Bruno

1976, La visite de la vieille dame de Friedrich Dürrenmatt, mise en scène de Richard Vachoux

Le Piccolo Teatro,
Le Nouveau Théâtre National de Marseille,
Jean Vilar

Re Lear, mise en scène de Giorgio Strehler

Durant sa direction, et pour contrer sa défense, les journalistes opposent à Richard Vachoux les exemples illustres de réussite dans des conditions qu’ils jugent a priori comparables.

Une fixette qui date

André Talmès, directeur de la Comédie (1959-1974)

La critique ?

« Elle est un mal nécessaire ! La plupart des chroniqueurs dramatiques exercent leur métier avec compétence, sans parti pris et sans œillères. Par contre, le journal dont il était question tout à l’heure (Journal de Genève), nous vilipende systématiquement depuis plusieurs années parce que, selon lui, tout ce qui n’est pas théâtre engagé – pour ne pas dire révolutionnaire – est sans valeur. Ce qui est grave, c’est que de tels articles déroutent le lecteur sans le renseigner, mais d’autre part leur mauvaise foi leur ôte tout crédit. »

Plein feu, novembre 1968

« Aucun auteur consacré, aucun grand comédien ne trouve grâce à ses yeux »

En 1974, Daniel Jeannet, chroniqueur du Journal de Genève, célèbre le passage, à la Comédie, de Re Lear, brillamment mis en scène par Giorgio Strehler – et de résumer le parcours du Piccolo Teatro, en forme de message appuyé au monde théâtral genevois et au directeur nouvellement élu de la Comédie.

En 1978, déplorant l’éclectisme excessif de la programmation, son confrère Guy Poitry vante les mérites de « ceux qui remplissent les théâtres sans renoncer à leurs ambitions artistiques. Marcel Maréchal, par exemple, qui, ayant quitté Lyon, il y a trois ans, a déjà conquis 15 000 abonnés au Nouveau Théâtre National de Marseille. »

Enfin, toujours en 1978, Daniel Jeannet rappelle, à l’adresse de Richard Vachoux qui cita Jean Vilar au moment de sa nomination, qu’« aux débuts du TNP, Vilar a rempli Chaillot envers et contre l’hostilité de la presse à grand tirage, et sans jamais consentir à monter des pièces de boulevard. »

Le déficit de 700 000 fr

« La situation économique et comptable du Théâtre de la Comédie de Genève que dirige depuis plusieurs années Richard Vachoux serait dans un état aussi cahotique et dénivelé que le proche rond-point de Plainpalais »

« Et les tomates apportées de sortir de leurs cornets »

La polémique ne cesse d’enfler. Le courrier des lecteurs, le syndicat des comédiens s’en mêlent. Les critiques dramatiques sont vivement… critiqués.

« Je n’ai pas vu 'Lulu' et j’éprouve un certain regret maintenant. Je saurai dorénavant que les critiques genevois ne sont pas précisément les plus aptes à juger les pièces présentées dans notre ville. »

Plein feu

A tel point que l’Association des Amis de la Comédie organise un débat en mai 1979 entre le public et les quatre journaux estimés les plus importants de Genève : La Tribune, La Suisse, Le Journal de Genève et Voix Ouvrière. Ou plutôt les gens de théâtre, venus en force, éclipsant les spectateurs, et les critiques.

Hélas. Qualifié de « tire-pipes » – stand de fête foraine où l’on tirait à la carabine sur des pipes en terre – « ce dialogue n’a pas volé aussi haut qu’on l’aurait espéré », regrette Philippe Juvet du Courrier (non invité à débattre).

Mais, il « a eu le mérite de démontrer clairement que si les critiques comprennent parfois mal les problèmes spécifiques des comédiens, ceux-ci ignorent de même les difficultés du journalisme. 

Il a fait ressortir, une fois de plus, que si les instruments d’une politique culturelle globale (cahier des charges des théâtres par exemple) font cruellement défaut, on le doit certes en partie au pouvoir politique, mais aussi à un certain individualisme forcené de la part des gens de théâtre qui pourraient faire de grandes choses s’ils utilisaient ensemble l’énergie dépensée à se tirer dans le dos. » 

« On va leur faire un tabac à l’entrée »

André Steiger, metteur en scène


 

« Que la ‘relation publique’ se fasse plus sainement, et que de fécondes batailles remplacent les petites embuscades amères »