Hunger !
Richard III
Maya Bösch
D’après Shakespeare
Carton rouge pour la narration, trame linéaire hors jeu, place au match post-dramatique. « Quand on pénètre dans la salle, les comédiens sont déjà à l’entraînement. Ils cognent dans le vide, s’élancent pour un court sprint, se chauffent les muscles. Pour se mettre en jambes, sans doute » taquine La Tribune – « Cinq actes, cinq rounds à rallonge, quatre heures de combat, tel est le parti pris sportif de la mise en scène. Il y a là une idée physique de l'œuvre, très dans l'air d'un temps qui érige le corps en vecteur du drame et tant pis pour le texte », prévient Alexandre Demidoff du Temps.
Alors, Bösch contre Shakespeare, quel résultat ?
Boxe, rugby, haka et Richard III
Pour activer les stratégies verbales mises en place par les personnages, c’est donc la métaphore du sport qui a été choisie :
« on est dans l’esprit du sport, explique la dramaturge Michèle Pralong, mais côté déréglementation, avec une indistinction d’équipes, de règles, de terrain ; les alliances se font et se défont, les codes changent, l’espace de jeu fluctue, et c’est toujours Richard qui décide des inflexions, qui mène le jeu. »
« Le théâtre est un stade sans foi ni réelle loi,
mais sa violence n’est pas dénuée d’humour, façon Quentin Tarantino : Bang Bang ! (My Baby shot me down), fredonne-t-on, comme en ouverture de Kill Bill : vol. 1 »
Le Courrier
« Laisser tomber la pièce/Ne garder que le texte/Ignorer le dialogue/Ne pas s’approprier la réplique/Rester dans le flux/Ne jamais s’asseoir/Porter à tout instant toute la pièce/Trouver une mesure corporelle à la mesure du texte/Idem démesure/Sauver les corps, liquider les récits/Ne pas compter sur la consolation de la fable/Se faire opératique et chorégraphique/Mettre à la place du personnage un sportif de la langue »
Maya Bösch – Indications aux comédiens
Joue-la comme Servette
Quelle salle de répétition pouvait le mieux convenir à l’équipe de Richard III ?
Le Stade de Genève, à La Praille, résidence du Servette FC. Une virée au vert qui rappelle la semaine jurassienne version « team building », organisée par Claude Stratz pour sa troupe de jeunes comédiens de Sa Majesté des mouches.
« Alors, Bösch contre Shakespeare,
match définitivement nul ? Pas sûr »
« Maya Bösch tâtonne à vue »
« Fallait-il confier Richard III à un jeune metteur en scène talentueux, certes, mais habitué aux formes modestes ? » s’interroge Alexandre Demidoff.
« ‘J’ai l’impression que ça va être moderne’, lâche une spectatrice.
Sur quoi son compagnon lui répond, un rien excessif : ‘On a peur’ »
« Face public, les comédiens déclament, monotones. Le nom des personnages est imprimé sur leur t-shirt, histoire d’aider les spectateurs à se retrouver dans la généalogie compliquée des Tudor et Plantagenêt.
L’astuce tombe à plat : le texte est vidé de son sens. Du coup, le public non averti se mord les doigts : il n’a pas (re)lu la pièce et n’entend goutte à ce galimatias » relève Le Courrier.
Et La Tribune d’enchaîner :
« en dépit des références à l’univers sportif, de la boxe au rugby, on est plus proche de la partie d’échecs. La première partie dure deux heures, c’est long, d’autant plus long que le texte s’enlise dans ce terrain labouré en tous sens. »
De plus, « face au très bel habillage scénographique », et notamment à l’installation du cheval mort sanglé, Le Courrier s’étonne : « l’équipe sportive, elle, ignore tout à fait l’animal.
Plus surprenant encore, elle n’interagit pas du tout avec l’énorme ballon suspendu au-dessus de la scène et qui s’en approche dangereusement. »
« Tout captive enfin après le ‘break’ »
Porteur d’une vision, le spectacle prend son envol dans la seconde mi-temps ; « passionnante, l’histoire y trouve ses marques, la mise en scène sa cohérence : on ne regrette pas d’être resté » se réjouit La Tribune.
La metteure en scène « conclut surtout en force et en beauté son Richard III, comme si seule la chute du monstre l'avait intéressée » souligne Alexandre Demidoff dans les colonnes du Temps.
« Richard III à plat ventre sous le globe géant, rampant seul sur le champ de bataille où il joue son destin.
Il est alors littéralement un corps fait ombre. Un pur négatif, zombie crachant son texte, submergé par les voix de chapelle ardente de commentateurs. C'est un requiem. »
« Là, on est chaviré, noyé par la nuit de Richard III, ces ténèbres soudain si pénétrantes »
Alexandre Demidoff
« Balle au centre ! »
« Bien qu’un peu débordée par le flux ample de sa réflexion, Maya Boesch confirme la singularité de sa vision. Même si son Richard III nous laisse un peu sur notre ‘hunger’ ».
Lionel Chiuch
Vous avez dit Hunger?
D’aucuns sont déjà restés sur leur «hunger»…
C’était en 1985. La causerie érudite montée par Jean Jourdheuil et Jean-François Perret autour de la figure sulfureuse de Pietro Aretino met en appétit. La scène est transformée en salon littéraire, « les amuse-gueule ne manquent pas »… jusqu’à ce que le plat de résistance se fasse cruellement attendre. « On sort de là le ventre un peu creux avec une furieuse envie de dévorer les lettres de l’Aretin », conclura Jean-Pierre Thibaudet de Libération.
Distribution
2005, HUNGER ! RICHARD III
D’après Shakespeare Mise en scène : Maya Bösch |
Distribution : Véronique Alain Barbara Baker Guillaume Béguin Julie Cloux Joëlle Fretz Frédéric Jacot-Guillarmod Thierry Jorand Valérie Liengme Roberto Molo Christine Vouilloz Matteo Zimmermann |