Le psychodrame
de l’interdiction

« Après une générale ovationnée, devant une salle comble, il fallait renoncer à jouer. Mais le succès nous avait dopés, nous capitulions la tête haute.

Le lendemain, qui devait être le soir de la première, je me suis retrouvé seul au théâtre. 

Errer dans un théâtre vide, un soir de première… Cela, je ne le souhaite à personne. »

Claude Stratz

« Un travail long de cinq mois, en étroite collaboration »

Août 1997 : Claude Stratz change son fusil d’épaule.
Ce soir on improvise de Pirandello est reporté à la saison suivante et remplacé par Sa Majesté des mouches, programmée pour la fin janvier 1998.

11.08.1997 : Editeur français de Golding, Gallimard donne son accord de principe pour une adaptation d’après la traduction française. 
Olivier Chiacchiari peaufine l’écriture de cette adaptation.
Claude Stratz rencontre Ezio Toffolutti à Venise.
En attendant la version française, ils élaborent une scénographie à partir du roman anglais. 

Olivier Chiacchiari

Coup de théâtre : le texte inconnu de Nigel Williams

Mi-novembre 1997 : les éditions anglaises Faber&Faber annoncent qu’il existe une adaptation autorisée et exclusive par Nigel Williams, que les héritiers de Golding contraignent à utiliser.
Celle-ci est inconnue de la Comédie et des sociétés d’auteur suisse (SSA) et française (SACD). 

Début décembre 1997: Claude Stratz reçoit la version anglaise. Bien différente. 
À ce moment-là, le décor est en construction, les comédiens engagés (9 adultes et 6 enfants), les répétitions ont commencé.

24.12.1997 : les ayants droit demandent à voir la version française.

5.01.1998 : la fille de William Golding émet des réserves, concernant notamment la francisation des noms et la fin modifiée de la pièce (> époque Talmès, thème adaptation, « Inspiré de… »). 

17.01.1998 : Mme Golding est invitée à Genève pour voir le travail (mise en scène, décor, comédiens). 
La FAD lui propose 20 000 francs d’indemnisation et s’engage à modifier la fin.

L’intransigeance de l’héritière fantôme

19.01.1998: Silence absolu de l’héritière. 
Son refus est transmis par l’intermédiaire de Faber&Faber. 
Toutes les représentations sont annulées. 
La Comédie appelle un par un ses abonnés et avise les spectateurs que les billets seront remboursés.
Perte estimée : environ 100 000 francs. 

19.01.1998 : Répétition générale – et dernière – devant une salle comble.
Standing ovation.

20.01.1998 : Les journaux suisses romands fustigent l’inflexibilité de l’héritière. 
La radio française relaie l’information. 
Le scandale s’amplifie.

Interview de Claude Stratz – Journal de midi du 20.01.1998

C'est arrivé à Benno Besson

L’« affaire Sainte Jeanne » 

A l’invitation de Charles Apothéloz, Benno Besson décide de monter en 1962 Sainte Jeanne des Abattoirs de Brecht au Théâtre municipal de Lausanne – une première mondiale en français.

Stupeur ! La série de représentations est ajournée deux fois. 
La raison ? 

« Les modifications apportées en cours de travail par le metteur en scène avaient abouti à une version fondamentalement différente de celle que le Théâtre de Lausanne s’était engagé à jouer. Si bien que l’éditeur représentant les héritiers de Brecht  et les traducteurs, ainsi que la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques, n’ont pu accorder dans les délais voulus l’autorisation de représenter la pièce. 
Un accord est quand même intervenu par la suite » et le spectacle sera donné au mois de mai.

Gazette de Lausanne

« Certaines personnes qui ignoraient la renonciation tardive de mardi, se sont présentées mardi soir aux diverses portes du Théâtre municipal. Des agents de police y montaient la garde et les maintenaient closes ! »

Gazette de Lausanne

La spectaculaire volte-face

21.01.1998 : Accord de Faber&Faber aux conditions suivantes : un dédommagement financier substantiel + une autorisation limitée aux représentations annoncées + un communiqué signalant à chaque spectateur la désapprobation des ayants droit + l’interdiction d’exploiter, de diffuser et de tourner avec l’adaptation française.

22.01-17.02 1998 : 
15 représentations.
7 426 spectateurs. 
Taux de fréquentation : 74%.

Le périlleux exercice du droit moral… et son observance

« Samuel Beckett, exemple-type de l’auteur maniaque ne supportant pas la plus infime prise de liberté dans les mises en scène de ses textes, a-t-il interdit de son vivant nombre de représentations. »

Lisbeth Koutchoumoff

Samuel Beckett


 

Bernard-Marie Koltès

« … ‘La plus grande fidélité à un texte peut être la plus grande trahison’, a affirmé Claude Stratz en rappelant que le dramaturge Bernard-Marie Koltès avait demandé par testament ‘qu’on interdise d’interdire de monter ses pièces.’ »

Sandrine Fabbri

« C’était sans doute mon erreur »

« Une chose est sûre, rappelle Chantal Savioz aux lecteurs de La Tribune : sans le feu vert de la maison d’édition londonienne, cette version scénique, engageant un écrivain, des comédiens et des techniciens ne pouvait pas légalement être envisagée. » 

« La Comédie de Genève est donc passée tout près de l’enfer, résume Alexandre Demidoff. Les procès en légèreté semblaient imminents. Et pour certains se justifier. ‘Je revendique cette part de risque. A la fin de la saison dernière, j’ai traversé une part de doute (…). Sa Majesté des mouches s’est alors imposé. Un peu tard, mais je n’imaginais pas rencontrer autant d’obstacles. C’était sans doute mon erreur’ » lui a confié Claude Stratz.