Des femmes
Wajdi Mouawad
Sophocle
Traduction :
Robert Davreu
Ou plutôt, un homme. Qui déploie une ombre obscurcissante sur la trilogie de tragédies de Sophocle – Les Trachiniennes, Antigone, Electre – que Wajdi Mouawad met en scène au cours d’un marathon de plus de six heures. Un homme, Bertrand Cantat, ex-leader de Noir Désir condamné pour homicide involontaire qui, en incarnant le choeur antique, éclipse pièces, acteurs et mise en scène. Par son charisme de rocker à la voix rocailleuse. Et par la controverse colossale que son retour sur scène a déclenchée.
Incontournable Cantat
« La voix de Cantat est un enchantement permanent. Cette voix comme brûlée par le soleil. Dont le miel n’empêche pas le grain, le crissement. »
« Tandis que sa trilogie Des femmes arrive à Genève, on se dit qu’il faudrait peut-être songer à changer de focale.
Même si, inévitablement, les regards convergent vers celui qui a composé la musique du spectacle et interprète le chœur » résume Lionel Chiuch dans les colonnes de La Tribune.
Chœur antique très électrique :
et Sophocle reste moderne
Une guitare, une basse, une batterie. Trois musiciens, une voix. Sous l’impulsion géniale de Wajdi Mouawad, Bertrand Cantat écrit la partition du chœur : saturations très rock, douces mélopées et incantations rythment les tragédies, « sans pourtant d'effet cosmétique, dans une intelligence profonde du texte original » souligne Marion Cocquet du Point.
« De sa démarche, Wajdi Mouawad explique qu'il cherchait à réinvestir ce rôle et à créer un chœur capable, comme Sophocle le dit dans Antigone, deuxième partie de sa trilogie, d'’ébranler de ses pas le sol thébain’. Soit, écrit-il, une ‘voix poétique capable de faire vibrer un texte dans sa poésie, dans sa beauté, dans son abstraction ; mais en le portant à un degré de folie, où par la musique on pouvait entendre une déraison, une déchirure de la voix’. Une voix de rocker, à la Kurt Cobain, à la Jim Morrison. Ou à la Bertrand Cantat, toujours sur le point de se rompre, capable d'aller du récitatif au hurlement. Le pari est réussi. »
Marion Cocquet
« J’ai lu les textes sur la musique des ‘Beatles’, ça n’a pas fonctionné. Ni sur celle des ‘Pink Floyd’. Et le choc est venu lorsque j’ai mis ‘Nirvana’ ! Ca a fonctionné comme avec ‘Noir Désir’. Le rock apporte la transe, la folie. »
Extrait d’Antigone, 2e volet de la trilogie.
« Du théâtre antique pur, mais qui sonne comme le meilleur de Noir Désir »
Marion Cocquet
« Idée iconoclaste certes, peut-être dérangeante, mais certainement pas inintéressante, analyse Rosine Schautz dans Le Courrier car le spectateur entend le texte en oblique, de biais, et cet ourlet sonore apporte un peu de folie contemporaine, imprime du rythme, replace la tragédie dans un contexte moins empesé, invente un vocabulaire scénique nouveau qui fait sens. »
Le live de 1990
Pas simple de faire bouger une batterie…
« Je voulais l’énergie du rock pour le chœur, parce que c'est dans cette énergie-là que pouvait passer la folie de Sophocle. La première question que je me suis posée ensuite, ce n'est pas celle de la présence de Bertrand Cantat, mais celle de la place de la batterie dans le dispositif ! Pas simple de faire bouger une batterie... » précise Wajdi Mouawad.
Une difficulté que la Fanfare du Loup avait brillamment surmontée en 1990
lorsque, accédant à la requête de Jean-Louis Hourdin mettant en scène Casimir et Caroline, elle s’était faite « nomade, c’est-à-dire qu’elle se mêlait au chœur, à la population théâtrale, et qu’en ce sens elle était capable de bouger tous azimuts, en même temps que les comédiens. »
Zoom sur
La controverse Cantat
Wajdi Mouawad : critique déçue, public conquis
« Nous y voilà donc ; car se déroule sous nos yeux une œuvre théâtrale de l’un des metteurs en scène les plus doués de sa génération » s’enthousiasme Walid Salem dans Le Nouvel Obs.
Et pourtant. La déception de la critique est quasi unanime. Mais le public applaudit.
Même si « la Comédie s’offre une bonne dose d’héroïnes » relève Lionel Chiuch dans La Tribune, « la mise en scène manque singulièrement de relief, d’ambition et d’interprétation, semble retenue, stéréotypée, sans palpitation » enchaîne Marie-Pierre Genecand pour sortir.ch. « Sans la plainte du chanteur, le spectacle serait vraiment plat », tranche-t-elle.
Plus indulgent, Alexandre Demidoff admet dans les colonnes du Temps que l’on peut « contester les partis pris. Regretter que tous les acteurs ne soient pas d’égale force. Le spectacle est porté par un vent d’intelligence » assure-t-il.
Et le public ne s’y trompe pas qui ne laisse pratiquement pas un strapontin vide chaque soir, marathon de la trilogie compris.
« A la Comédie depuis de nombreuses années, je n’ai vu pareille ferveur que deux ou trois fois, se souvient Christine Ferrier, alors responsable de la communication. Dont cette fois-là. »
« Les personnages de Sophocle sont des rhéteurs. Ils peuvent parler pendant deux pages sans être interrompus. Comme au tribunal. Je voulais qu’on entende cette rhétorique. »
Wajdi Mouawad
« Après plus d’une heure et demie de spectacle, la troupe s’est engouffrée en loges sous un tonnerre d’applaudissements »
Fred Valet
Distribution
2011, DES FEMMES
Les Trachiniennes, Antigone, Electre de Sophocle Mise en scène : Wajdi Mouawad |
Distribution : Camille Adam Martien Bélanger Bertrant Cantat Olivier Constant Samuël Côté Sylvie Drapeau Charlotte Farcet Raoul Fernandez Pascal Humbert Patrick Le Mauff Sara Llorca Alexander MacSween Véronique Nordey Marie-Eve Perron |