Le Roi Lear

2015
Mise en scène :
Hervé Loichemol
Texte :
William Shakespeare

La plupart des critiques insistent en préambule sur le sommet que Le Roi Lear représente dans la carrière d’un metteur en scène ? Hervé Loichemol ne les dément pas, répétant sa timidité face à « la plus grande pièce que j’ai jamais montée ».

De ce trouble originel, décuplé par le souvenir de l’extraordinaire mise en scène de Giorgio Strehler de 1974, proviennent peut-être la retenue, la lecture d’une folie qui reste trop raisonnable, « avec au final l’impression d’un rendez-vous raté ou d’une aimable conversation qui peinerait à sortir des sentiers battus. »

« Tout ceci finit dans un bain de sang et de poison, c’est réjouissant ! »

« Cette histoire, je vous l’assure, n’a pas pris une ride. Avec Hamlet et Richard III, King Lear fait partie des pièces politiques du dramaturge anglais. Sa noirceur, sa profondeur, sa folie, ses rebondissements, ses complots et surtout ses meurtres tous abjects en font un récit qui fait presque passer la série TV Le trône de fer pour une aimable fable de courtisans ou un conte.»

Thierry Sartoretti

Mort de Régane, empoisonnée par sa sœur Goneril par amour pour Edmond Gloucester

Mort d’Emond Gloucester, bâtard du comte de Gloucester, tué en duel par Edgar, fils légitime du comte


 

Mort du comte de Gloucester, suicide de Goneril

Mort du Roi Lear, le cœur brisé par l’assassinat de Cordelia, que sa sœur Goneril a ordonné

Tenter son Himalaya

Au tour donc d’Hervé Loichemol d’empoigner la tragédie de Shakespeare.
« C'est un rêve et une angoisse terrible, » confiait-il au mois de juin passé lors de sa présentation de saison.

Et de préciser illico que le plateau résonne encore de l’éblouissante mise en scène de Giorgio Strehler, accueillie en 1974.
Un choc fondateur : « c’est la première fois que je venais à Genève et la première fois que je venais à la Comédie… J’étais rentré dans ce théâtre d’une certaine façon et j’en suis sorti totalement bouleversé, modifié, je n’avais jamais vu ça. » 

Qualifiée de « chef-d’œuvre absolu », de « modèle indépassable », sa mise en scène a de quoi être intimidante. Mais pas paralysante. « Le désir est venu progressivement, non pas d’égaler ce chef-d’œuvre d’intelligence, de sensibilité, etc., mais de me confronter à cette pièce… J’ai failli le monter dans les années 80 avec André Steiger dans le rôle-titre et Anne Durand dans celui de Cordélia. »

Et de conclure : « c’est un challenge réellement enthousiasmant, c’est génial ! »

« J’avais le sentiment avant de commencer les répétitions, d’attaquer sinon l’Everest (peut-être que l’Everest c’est Hamlet) du moins l’Annapurna »

Hervé Loichemol

Il n'est pas le seul!

Ce même Roi Lear mis en scène par Strehler a engendré un autre « énorme choc » fondateur… éprouvé par Claude Stratz.

Notamment parce que « Strehler avait pris en compte les transformations que connaissait l’esthétique théâtrale et avait eu une réaction constructive après 1968 et le conflit de génération que l’on avait connu également au théâtre » confiait-il à Frank Fredenrich de Scènes Magazine, lors de sa prise de pouvoir en 1989.

 

Une mise en scène
la main sur le frein

Hervé Loichemol a beau proposer une lecture contemporaine convaincante, en évitant les pièges qu’il a identifiés (la reconstitution historique, le danger de vouloir à tout prix être original), sur scène, cela ne suit pas. 

« Les comédiens sont bons pourtant, le texte est bien rendu, parfaitement perceptible, souligne Thierry Sartoretti. 'Mais dès qu’une tirade fait mine de s’envoler, dès qu’un comédien joue des poings, tout retombe. Le souffle, la noirceur, la folie, la haine.'

« Comme si, poursuit-il, par peur des excès qui pourraient faire basculer un tel chef-d’oeuvre dans le pathos et le kitsch, le metteur en scène gardait toujours la main sur le frein en faisant bien attention à ne commettre aucun excès. Surtout pas de mare de sang, pas de torrent de boue, quelques larmes mais pas trop.  »

Un excès de rigueur et de sobriété que sous-tendent l’admiration d’Hervé Loichemol pour cet « extraordinaire dialogue avec les dieux » et son application à ne pas réduire, voire mutiler, ce sommet de la littérature dramatique : « notre travail théâtral devrait consister à proposer au spectateur le plus de champs possibles de méditation, de réflexion et de plaisir », résume-t-il.


 

« Son Lear, bien que racé, manque de cette force impérieuse, souterraine, qui fait la force des grandes mises en scène. » 

Marie-Pierre Genecand

 

« Une scénographie si simple que c’en est désarmant »

D’entente avec Seth Tillett, Hervé Loichemol privilégie deux axes : le respect et le jeu.
« En évitant les affèteries modernistes, explique-t-il, on n’est pas si loin des conditions de représentation de la période shakespearienne. C’est une joie. Cette attention au texte nous conduit à être tout à la fois dans l’attention et le respect par rapport à un auteur devant lequel on ne peut que s’incliner tellement il est grand, et à trouver une familiarité avec lui, c’est-à-dire un plaisir du jeu. »

Or, cette affinité avec la sobriété originelle du Théâtre du Globe ne convainc pas non plus : « à part quelques costumes un brin plus audacieux, voire sexy que les tenues du XVIIe, un revolver-jouet qui fait ‘plic’, ou des canifs qui semblent sortis de West Side Story, la mise en scène ne s’écarte guère d’une atmosphère historique, très mesurée, posée, quasi muséale », regrette Thierry Sartoretti.


 


 

« Le décor bascule même dans le gentil avec, par exemple, un pré fleuri joli tout plein.
Alors, on n’est plus chez Lear mais plutôt chez Heidi, mais oui. » 


 

« La défense d’une jeunesse qui lui échappe ? »

«L’âme humaine ne semble guère évoluer et c’est exactement cette question que le metteur en scène Hervé Loichemol a voulu traiter. En langage scientifique, cela se nomme la désaffiliation. En langage familier, on dirait ‘les valeurs fichent le camp’» éclaire Thierry Sartoretti, partisan de cette lecture contemporaine, quasi parabole de l’actualité brûlante.
Et La Tribune d’abonder, « comme si Hervé Loichemol, qu’on devine nostalgique des années envolées, des fougues retombées, des idéaux enterrés, avait trouvé dans Le roi Lear l’occasion de se revendiquer une verdeur, alors que pointent les signes d’un basculement dans la vieille garde… »

« Comme d’ailleurs avec tout le reste de l’équipe, nous nous connaissons depuis longtemps. Quand on s’attaque à Shakespeare, il n’y a pas le choix, il faut partir groupé, avoir une équipe solide ! »

Hervé Loichemol

Distribution

2015, LE ROI LEAR

De William Shakespeare
Traduction française : Jean-Michel Déprats
Production Comédie de Genève, avec le soutien de la Fondation Leenaards
Du 20 janvier au 7 février 2015

Mise en scène : Hervé Loichemol
Scénographie et lumière : Seth Tillett
Costumes : Nicole Rauscher
Son : Michel Zürcher
Collaboration musicale : Daniel Perrin
Assistante à la mise en scène : Hinde Kaddour
Maquillage : Katrin Zingg
 

Distribution :
Frank Arnaudon
Ahmed Belbachir
Jean Aloïs Belbachir
Laurent Deshusses
Anne Durand
Camille Figuereo
Hinde Kaddour
Benjamin Kraatz
Michel Kullmann
Patrick Le Mauff
Brigitte Rosset
Philippe Tlokinski