Superbes « gueules » chez Gozzi

Légende

Masque de l'oiseau vert et croquis

Légende

Masque de Tartagliona et croquis

La naissance d’un personnage de théâtre

Si belles soient-elles, ces faces de cuir ne sont que des objets… qui prennent vie dès que les comédiens les animent.
« Masque, en latin, se dit ‘persona’ aime à rappeler Benno Besson. Et, de fait, lorsque le costume, le comédien et le masque sont en harmonie, on assiste à la naissance d’un personnage de théâtre » explique Jean-Michel Meyer dans le Journal de Genève.

Et Meyer de poursuivre : « L’art de l’acteur consiste, nous semble-t-il, à obéir au masque, à lui ressembler, à parler, à se mouvoir comme l’exige le personnage, tout en préservant sa propre liberté, son bonheur de jouer.
Il lui faut, en somme, et le défi apparaît là peut-être plus clairement que lors d’un jeu à visage découvert, servir le personnage, sans, pour autant, cesser d’être lui-même. »

« Besson ne l’a jamais complimenté sur une réalisation avant de l’avoir vue ‘en action’ » 


 

Répétitions de L’Oiseau vert. Benno Besson avec Pierre Byland (Truffaldino) et Françoise Giret (Smeraldina).

« Un masque ajoute une dimension au meilleur comédien. Souvent les critiques parlent alors de l’anonymat des comédiens. Mais le talent passe à travers les masques, nom d’un chien ! »

Werner Strub

Masque de Brighella

« Quand je regarde ces masques qui ont joué, je vois leurs petites craquelures, des petites bosses, des petits plis. La sueur du comédien les a formés, patinés. Ils sont souvent un peu fatigués. Leurs bouches, leurs yeux s’ouvrent sur des vides tragiques qui gardent le secret des soirs de triomphe, où ils étaient animés, aimés.
On les admire mais ils attendent qu’on les fasse remonter sur scène pour déchaîner leur puissance. »

Benno Besson

L'oiseau bichonneur

En cuir, doublé d’un menton et d’un cou en tissu, les masques exigent un entretien quotidien.

Compte tenu de la transpiration, il faut les sécher puis les désinfecter après chaque représentation. En tournée, c’est Alain Trétout – l’oiseau vert « qui bouge la tête et roule les ‘r’ à la manière d’un perroquet ou d’un merle des Indes saisissant » – qui s’en est chargé.

Werner Strub, orfèvre du cuir

1965, reportage de Jo Excoffier chez Werner Strub

« Même aujourd’hui quand je prends les mesures, je fais généralement des photos.

La première raison, c’est que j’aime voir devant moi la personne pour qui je fais le masque, parce que je préfère faire un masque pour quelqu’un que je connais ; mais c’est aussi pour avoir des repères, en plus des mesures, pour le volume du masque.

J’aime toujours bien qu’il soit adapté au comédien. D’ailleurs, contrairement à ce que l’on peut parfois penser, le comédien aime très généralement être non pas serré dans le masque, mais le sentir très proche de lui. »

 

Werner Strub

Parce que c’était lui…

Benno Besson et Werner Strub

Si Werner Strub a réalisé des chefs-d’œuvre commandés par Maurice Béjart (Petrouchka), Roger Planchon (Gilles de Rais) ou Giorgio Strehler (Henry VI), c’est en Benno Besson, rencontré en 1972 à Berlin-Est, qu’il trouve son alter ego.
Avec lui, il dépasse le contexte des rôles fantastiques ou des figurants décoratifs pour créer des « masques-costumes qui lui semblent offrir des moyens sensibles, sensuels et spirituels pour décrire et cerner le personnage » confie-t-il à Patrick Ferla.

« Au fond, le masque se fait presque autant plus tard dans les essayages, parce que dans l’essayage on essaie encore de l’adapter, surtout les ouvertures, que je ne coupe jamais avant d’avoir le comédien chez moi, où j’adapte les yeux, la bouche, où je peux encore rapprocher le masque du visage. »

Hamlet : chef-d’oeuvre ou scandale ?

Nul doute sur la beauté des masques intégraux créés pour la production, l’ensemble du public et de la presse en loue la remarquable facture.
Non, le débat est ailleurs. 

« Le parti pris consistant à utiliser à nouveau les masques de Werner Strub était beaucoup plus périlleux qu’avec la fable de Gozzi » résume Frank Fredenrich dans La Tribune. Car « le personnage d’Hamlet vient en quatrième rang derrière le Christ, Napoléon et Shakespeare, dans la liste des personnages sur lesquels on a le plus écrit » rappelle Jean-Claude Blanc dans L’impartial.

Alors, quand Besson s’attaque à un monument du théâtre mondial et bouscule la traditionnelle « mélasse romantique qui l’incruste depuis des lustres », la bataille d’opinions fait rage. 


 

Haute trahison

« A-t-on vraiment besoin de découvrir Hamlet sous les traits taillés à la hache d’un monstre des Muppet’s pour comprendre l’intention ? » interroge François Moreillon dans 24heures.

« Nous avons compris que l’utilisation des masques souligne la dimension légendaire de Hamlet, souligne Anca Visdei dans La Gazette de Lausanne, mais, nonobstant des détails bassement matériels (…), cela nous a trop l’air d’un signe de porte de grange » pointe-t-elle.
D’autant que pour Georges Gros, « les comédiens ont été, physiquement, dépersonnalisés et enlaidis comme à plaisir », dénonçant par là leur utilisation marionnettique par le metteur en scène.
Sans compter que pour beaucoup d’entre eux, « les masques handicapent sérieusement l’audition. La plupart des dialogues des personnages secondaires en deviennent incompréhensibles. »
« On croit entendre une pièce sur une radio mal réglée », regrettent-ils.     

« Rien n’est plus riche et adéquat à l’univers shakespearien que le visage nu d’un comédien »

Anca Visdei


 

Un souffle d’invention généreux

« Plusieurs masques sont franchement bouffons et d’autres plus réalistes. Le mélange est indiscutablement réussi dès que l’on en a admis le principe » introduit Frank Fredenrich dans La Tribune.

« D’où cet intérêt, souligne Jean-Bernard Mottet dans les colonnes du Courrier, une nouvelle fois, pour le masque qui interdit toute réelle identification d’un visage bien connu de comédien ou de personnage, incitant au contraire le spectateur au jeu des associations, des images et des souvenirs, de ses fantasmes aussi ».

Ainsi, « la mise en scène de Benno Besson retrouve la dimension du merveilleux et de la féerie qui débouche ici encore sur le bonheur inconditionnel du spectateur » conclut son collègue Daniel Wack.

« A l'époque (au tout début du XVIIe siècle), jouer sans masques était une nouveauté », rappelle Besson.

Hamlet : magnétique ou figé ?

« Alors, le spectateur ‘tranquille’ (cultivé) peut avoir des surprises, sinon un choc, surtout quand le ‘blond Hamlet’ (mais pourquoi blond, que diable ? n’est-il pas dit que la barbe de son père était ‘noire avec des fils d’argent’ ?) apparaît dans son masque noir. »

Benno Besson

C’est au pied des tours du Lignon et à la démolition de Peney que Roger Jendly a trouvé l’atmosphère adéquate pour apprendre le célèbre monologue. 

Les secondes peaux d’Othello

« En bon connaisseur du théâtre de rue, des masques, de la culture balinaise et des carnavals, le metteur en scène colombien grime ses acteurs avec des masques grotesques » rappelle Pierre Chantre de L’Hebdo.
Mais ceux-ci sont utilisés « non comme un signe ou un code – comme c’est le cas dans la commedia dell’arte – mais véritablement comme une seconde peau. ‘Il ne faut pas confondre les codes et les repères, souligne Omar Porras au Journal de Genève. C’est l’intuition qui nous guide.’ »

Scénographe, Fredy Porras conçoit et fabrique les masques du spectacle monté en 1995 :
« En restant dans l’esprit de ce que les comédiens proposent, je crée avec mes demi-masques une microsociété, une sorte de famille où les individus ont leurs ressemblances et leurs différences.

Je les construis sur mesure : il ne faut surtout pas effacer le travail fait sur le personnage. »

Maquillages appuyés : l’alternative

1985 : personnages du Dragon

Bas les masques ! 

En 1985, Benno Besson remonte Le Dragon de Schwartz – un pari audacieux puisque sa première « mise en scène avait suscité le délire tant à Berlin qu’en Occident dès 1966. »
Et rompt avec un élément de sa signature : « l’espace d’un instant, Werner Strub oublie ses masques pour signer des maquillages étonnants qui s’intègrent si bien au reste du personnage, qu’une unité parfaite est obtenue entre le costume, les traits, le geste et la voix » souligne Philippe Juvet au Courrier.

Il réitère en 1993 pour les tendres héros de Quisaitout et Grobêta, merveille de féerie technique parfois jugée trop guimauve. 

1983 : séance de maquillage pour Quisaitout et Grobêta


 

« Si on se permet d’être tendre, d’être drôle, ça irrite »

« Et à l’intelligentsia qui lui reproche d’endormir le public avec son recours à la féerie, au masque, à l’humour, il garde un chien de sa chienne.
‘La mode, aujourd’hui, veut la dureté. Il faut avoir le grand méchant look.
Je hais cette ambiance fascisante, dont la publicité et certains médias français ‘de pointe’ véhiculent sans innocence les mots d’ordre. Dans ce paysage, c’est une action polémique que de revendiquer le style que je pratique.’ »

Jean-Jacques Roth


 

Casimir et Caroline, 1989

La violente kermesse de Casimir et Caroline mise en scène par Jean-Louis Hourdin, dépourvue d’artifice et de gadgets, dévoile en 1989 les maquillages outrés de Werner Strub, « qui donnent à certains visages de vraies allures de morts-vivants » et « figent les expressions, deviennent masques. Horvath voulait démasquer les consciences… Les regards aussi, souvent, sont figés et ne se croisent que rarement. Chaque personnage est seul dans le silence du plateau, les gestes sont expressionnistes », admire Sandrine Fabbri du Journal de Genève.