Un décor
d’une perfection
inquiétante

« Ce dépouillement qui est déjà la moitié de la perfection »

L’immense miroir qui reflète une colonnade d’inspiration palladienne figure le lieu unique dans lequel se déroule toute la représentation. 

« Il ne s’agit pas d’illustrer chaque scène, explique Claude Lemaire, mais de créer la sensation qu’il peut exister un lieu théâtral qui ne soit nullement une illustration naturaliste, et ne vise pas à représenter la réalité. » 

Le décor est « traité dans les verts et les gris perle, ce qui crée une lumière glauque et fraîche, décrit Claude Barras dans La Liberté, mais réchauffée ici et là de quelques touches de brun ou de rose et qu’amplifie, en plus grande et plus mystérieuse, la lumière métallique de l’immense miroir dans lequel elle se reflète. » 

Une palette de tons qui rappelle de très près les toilettes de Ruy Blas, échappées des toiles de Velasquez… 

Vue panoramique du décor

« Un décor pour moi est réussi quand il est habité de façon sensuelle par les gens »


 

Un mois avant Le Misanthrope, les spectateurs expérimentaient le lieu théâtral unique, idéal, que Claude Lemaire avait réalisé pour la Bérénice mise en scène par Antoine Vitez.

« On pourrait d’ailleurs imaginer, avait-elle précisé, un lieu théâtral dans lequel, par convention, il serait possible de jouer tout Molière et tout Racine… »

« Posée au centre du plateau, une boîte : de frêles colonnent soutiennent un plafond de bois. Une fresque pompéïenne en délimite le fond et comme dans l’atrium d’une maison romaine, la boîte ouvre sur le ciel. »

Marie-Danielle Brunet

Une pièce de cour : regarder et se donner à voir…

« Le Misanthrope est un espace de reflet où le spectateur lui-même intervient comme un regardant – l’effet miroir de cour » rappelle Claude Lemaire.

« L’ensemble spéculaire, qui motive son magnifique décor, donne ainsi toute la mesure de la dimension de la ‘femme divisée’ qu’est Célimène, du narcissisme de celle-ci et du besoin de poser qu’a Alceste » analyse Jean-Pierre Althaus pour 24Heures. Mais pas seulement, soutient José Michel Buhler dans Voix Ouvrière, pour qui ces miroirs « fort habilement disposés ne se limitent pas à servir la démonstration de ces jeux narcissiques, mais dénaturalisent un espace en lui-même déjà magnifique et induisent toutes sortes d’autres jeux : jeux des acteurs, d’abord, bien sûr, mais aussi jeu du théâtre avec lui même. »


 

« A la manière d’une démonstration-dissection, la tragi-comédie de l’insertion sociale de l’individu »

… En coulisse

Interview d'André Steiger pour l'émission culturelle À l'affiche

« La scène, on le sait, est coulissée. Ici, la coulisse est rendue visible à une partie de la salle par le jeu précisément de ces miroirs, mais il s’agit bien sûr d’une fausse coulisse, du prolongement dans les coulisses de certains éléments du décor, littéralement donc, d’une autre scène. Autre scène où l’action se prépare, se prolonge, cherche certaines de ses déterminations…

Et par boutade Steiger invite les spectateurs à venir assister à deux représentations au moins. Une fois à cour et l’autre à jardin.

Il leur promet, suivant la place qu’ils occuperont et le fait subséquent qu’ils verront ou non dans les miroirs les reflets d’une partie supplémentaire du décor, un spectacle qui tendra soit vers la comédie soit vers la tragédie. »

José Michel Buhler