« J’ai envie de donner une place plus évidente à la représentation des femmes sur scène, tout simplement parce que je suis une femme, parce que ma sensibilité est celle d’une femme. Je remarque qu’elle manque d’espace pour s’exprimer » confie Anne Bisang dans une interview donnée à Tribune de première une semaine après sa nomination au très convoité poste de directrice.
Une ambition qui sera réalisée au fil de ses 12 saisons.
« On ne s’étonne pas que les hommes, quand ils mettent en scène, mettent toujours des hommes en scène, s’identifient à des héros masculins, parlent de leurs congénères masculins. Alors, pourquoi s’en étonnerait-on de la part d’une femme ? »
Anne Bisang
Les Petites saisons
Caisses de résonance des engagements militants, les Petites saisons mêlent les pointures politiques aux artistes et performeuses, figures d’envergure valorisant le courage, la résistance, la persévérance.
« La Comédie était un théâtre, c'est aujourd'hui un lieu où tout se passe.
Nous n'avons pas les mêmes idées politiques, Anne Bisang et moi. Mais qu'elle ait ouvert à ce point la maison au débat, c'est magnifique.
Et puis faut-il s'offusquer que la principale institution théâtrale du canton soit un foyer de contestation ? J'en suis parfois victime. Mais ça me paraît être son rôle. »
François Longchamp, ancien Conseiller d’Etat
La nomination d’Anne Bisang, la mue de la Comédie en agora tournent à la controverse.
« Depuis lors, la question n'est plus réellement de savoir si la directrice met bien ou mal en scène, si elle gère à bon escient son théâtre et si elle présente un programme recommandable.
Les critiques fusent et Anne Bisang devient à Genève ce que Ruth Dreifuss est à la Confédération : une personne attaquée, ‘parce qu'elle est une femme, engagée qui plus est’, disent les mouvements féministes qui se remobilisent massivement aujourd'hui pour prendre leur défense. »
Son alter ego littéraire
Juliette – une kamikaze qui me ressemble
A la question « quel personnage de théâtre seriez-vous » posée par une journaliste de Marie-Claire en 2007, Anne Bisang répond :
« (Elle hésite longuement) Etrangement, Juliette de Shakespeare. C’est une femme qui a soif d’absolu. Une kamikaze qui me ressemble. Elle a cette attirance vers l’obscur tout en étant une figure passionnante éprise de vie. »
« Il y a effectivement, autour de Dreifuss et Bisang, une systématique de l'attaque qui rend cette dernière des plus suspectes.
Pire : la critique salit le plus souvent les personnes visées plutôt qu'elle ne concerne le travail fourni…
…Mais de grâce, Chiennes de garde et vigiles du langage, gardez-nous du politiquement correct et du syndrome de la persécution qui voudraient que Ruth Dreifuss, parce qu'elle est femme et socialiste, devienne le meilleur conseiller fédéral de ce siècle, et qu’Anne Bisang, parce qu'elle est femme et jeune, le plus innovateur des directeurs de théâtre du millénaire. »
Elisabeth Eckert
« J’ai voulu affirmer l’attachement de la Comédie de Genève à ces artistes majeurs et à cette actrice qui marque notre temps.
La présence d’Isabelle Huppert à quatre reprises durant ma direction honore la Comédie de sa confiance et dit ceci : le génie d’une actrice rejaillit sur tous les acteurs, le théâtre ne serait rien sans la beauté intangible de leur art. »
Anne Bisang
« C'est parce que le schéma est très fort qu'on peut s'en libérer.
Je recherche ce genre d'aventure, en sachant que plus la contrainte sera forte, plus cela me donnera l'espace vital pour accomplir un chemin personnel. L’acteur ne devient libre que dans la contrainte, sinon, il est juste dans l'à-peu-près ou dans le n'importe quoi. »
Isabelle Huppert
« Elle est inouïe, Isabelle Huppert. Et tient bon sur sa ligne de front, tandis que la Comédie de Genève bondée se divise. Les uns, captifs amoureux, la suivent à l’aveugle, prêts à cueillir avec elle toutes les fleurs sauvages du monde, les autres refusent l’épreuve imposée. »
Alexandre Demidoff
« Elle réussit l'exploit de jouer à la fois avec et contre les autres, ainsi que l'impose son personnage. Sa voix est comme un filet jeté dans l'abîme où viennent s'engloutir les chutes de ses phrases. »
Lionel Chiuch
« La qualité d’Isabelle c’est d’avoir toujours pris le risque du dérapage. Et d’avoir compris que si on n’offre pas du vertige au spectateur, rien de grand ne peut se passer. »
Claude Goretta
Coup marketing?
« Alors, certes, ce genre de présence dans une saison est un calcul.
Pour les spécialistes du marketing, Isabelle Huppert est un produit d'appel. Elle tape dans l'œil du client potentiel. D'accord.
Mais une actrice de cette dimension fait bien plus que projeter son éclat sur une affiche. Elle attire le néophyte dans la gueule du théâtre. Elle comme Trintignant rabattent le timide qui n'ose pas franchir le seuil d'une maison où grondent des orages si peu naturels, le novice qui croit que cette cathédrale n'est pas faite pour lui.
La star sert à ceci aussi : à révéler le théâtre, à élargir le cercle des amoureux, ceux qui s'aventureront ensuite sur des territoires moins connus. »
Alexandre Demidoff
« Dans le rôle de ces amants au comble de l’écoeurement, Isabelle Huppert et Ariel Garcia Valdès prêtent leur présence et leur précision à cette saisissante géométrie des sentiments. »
Marie-Pierre Genecand
« Un Tramway est aussi l'occasion de retrouver l'immense Isabelle Huppert, virtuose jusqu'au vertige lorsqu'elle nous entraîne dans l'univers fêlé d'une Blanche DuBois, sur le fil de la décadence et de l'extase. »
Profil, Agefi