Meurtre dans
la Cathédrale

Création française
1945
Metteur en scène :
Georges Firmy
Texte :
T.S. Eliot

Réfugié de guerre en Suisse depuis 1943, Giorgio Strehler, alias Georges Firmy, suit brièvement les cours du Conservatoire de Genève, fonde la Compagnie des Masques avec Claude Maritz puis crée, en français, le drame d’Eliot : « Un spectacle de haute classe, tel que même nos scènes régulières et professionnelles ne nous en offrent guère » assure Rodo Mahert.

Des décors surprenants

Mise en scène du Cocu magnifique de Fernand Crommelynck par Meyerhold, Moscou, 1922

A la surprise générale, Meurtre a été joué « dans le décor le plus ‘avant-garde’ qu’on puisse imaginer,
relate Rodo Mahert, entendons un de ces décors rigoureusement géométriques et abstraits comme les Allemands et les Russes en ont dressés parfois entre 1920 et 1930 » – à l’instar des structurations de l’espace scénique développées par Max Reinhardt ou Vsevolod Meyerhold.

Mise en scène d'Œdipe de Sophocle par Max Reinhardt, Berlin, 1910


 

Membre temporaire de la Compagnie, devenu juge administratif, Edgard Volpé se souviendra « avec admiration du saisissement que leur avait procuré le décor et qui, uniquement grâce aux lumières, découpait l’ogive gothique d’une cathédrale. »

Pourtant, Robert de Traz tatillonne sur « certaines subtilités scéniques ayant l’inconvénient de distraire l’esprit qui se pose des questions alors qu’il préférerait suivre le texte. »

Exemple ? « Je n’ai pas bien démêlé le pourquoi des fils quadrillés tendus à travers la scène. Et les lumières multicolores de la fin étaient-elles chargées d’intentions ? Mais lesquelles ? »

Robert de Traz

« Ma, souffrez, souffrez ! »

En compagnie d’élèves recrutés au Conservatoire ou au Collège Calvin, Giorgio Strehler répète durant huit mois, dans toute la ville. 

« Le metteur en scène, M. Georges Firmy, qui atteste pour ses débuts un esprit extrêmement inventif, a ajouté à ce caractère géométrique et abstrait du cadre en ‘mécanisant’ le plus possible les personnages.
Il en résulte d’étonnants effets de parallélisme.
Il est pourtant incontestable que, de façon générale, le drame prend, avec ce système curieux et inhumain, une implacable grandeur. »

Rodo Mahert

« Je me rappelle les colères du maestro, sa capacité à pleurer sur commande. Je n’ai jamais retrouvé cette façon de travailler : il était tellement à l’écoute ; il était grand mais il savait s’incliner devant le théâtre. » 

Geneviève Jonville

« C’était fantastique, on ne travaillait jamais comme ça, personne n’en avait le temps. Mais avec lui, on restait des nuits entières sur le plateau. »

Georges Milhaud


 

« A Genève, je m’aperçus que je serais metteur en scène. Comme si j’avais été investi d’une mission par les circonstances. Peut-être me suis-je approprié une partie de ce pouvoir de mon propre chef, lorsqu’à la Comédie de Genève il fallut régler les éclairages pour la pièce d’Eliot. 
Je ne l’avais jamais fait. »

Giorgio Strehler

Deux mois avant le Vieux-Colombier

Jean Vilar

18 juin 1945. Jean Vilar reprend au Théâtre du Vieux-Colombier, la récente traduction d’Henri Fluchère (parue en octobre 1944 dans les Cahiers du Rhône). Grand succès public, le spectacle fait date, assoit la notoriété de Vilar.

Légende

Décors du Meurtre de Jean Vilar

Il sera convié par René Char à le jouer dans la Cour d’honneur du Palais des Papes lors d’une exposition de peinture et de sculpture contemporaines organisée en septembre 1947. Vilar refuse d’abord puis propose de présenter trois pièces en création.
Le Festival d’Avignon est né. 

Mais Jean Vilar ne signe pas la création française de la pièce. En effet, la mise en scène de Georges Firmy/ Giorgio Strehler – pour une unique représentation, parce qu’il a loué lui-même la Comédie – date du 14 avril 1945.


Reprise de 1976

Mise en scène :
Dominique Lambert
Joué à la Cathédrale Saint-Pierre

Premier spectacle à être joué dans la Cathédrale, ce Meurtre défraie la chronique, non pour son audacieux choix scénique mais pour l’utilisation du play-back.

Le programme prévient le public de l’envisager alors « comme un spectacle audio-visuel plutôt que comme un spectacle théâtral ordinaire. »

C’est leur métier

De nombreux critiques s’insurgent contre l'utilisation du play-back dans la reprise de Dominique Lambert. 

« Le caractère incantatoire du texte, qui devrait être magnifié par les résonances de la voix et l’écho du sanctuaire, disparaît totalement au profit de la douteuse haute-fidélité d’une technique sophistiquée », reproche Catherine Unger, regrettant également que les comédiens ne parviennent à « synchroniser leurs mouvements masticatoires à la bande sonore ».

Doutant des difficultés acoustiques plaidées par les producteurs, André Thomann lance : « Je n’en crois rien. Il faut pouvoir demander à des acteurs de savoir pousser un ‘coup de gueule’, c’est leur métier, et certains y parviennent très bien. (…) Quand les acteurs voulaient bien parler avec leur vraie voix, cela avait tout de même une autre allure. Et c’est alors qu’on était vraiment pris par le spectacle. »

Le fameux prêche de l’archevêque – une des trop rares scènes interprétées en live.

« Un massacre »

« Rien qui choque, à part peut-être les costumes outranciers des tentateurs-exécuteurs » se risque Le Dauphiné Libéré.

Révoltée, elle, par ce « massacre », Catherine Unger déplore dans le Journal de Genève « le ridicule des costumes (Daniel Jassogne) qui font ressembler les personnages, tentateurs ou chevaliers, à des chefs africains drapés dans de grotesques oripeaux et, qui pis est, la non-utilisation du lieu : dressés dans le chœur, des gradins de bois surmontés d’un échafaudage, tentent maladroitement de recréer ce que le metteur en scène a cru être le décor des miracles du Moyen Age. » 

Autre analogie pour André Thomann de La Suisse : les toges « faisaient ressembler des dignitaires anglais à des prêtres incas. » Ce que n’a pas vu Georges Gros du Courrier, charmé par les costumes « tout à la fois sobres et symboliques. »

Distribution

1945, MEURTRE DANS LA CATHÉDRALE 

De T.S. Eliot
Production Compagnie des Masques

Mise en scène : Georges Firmy
Costumes : Kaiser
Masques : Rosemarie Eggmann
 

Distribution :
Quatre tentateurs et quatre chevaliers :
Premier : Pierre Moltény
Deuxième : Gérald Landry
Troisième : Jacques Maurienne
Quatrième : Gilbert Lipp

Trois prêtres :
Premier : Claude Chappuis
Deuxième : Georges Milhaud
Troisième : Daniel Perrin

Un héraut : Edgar Gui
Un chœur de femmes de Cantorbery : Béatrice Galland, Geneviève Jonville, Adrienne Perroy
 

 

REPRISE DE 1976

Traduction d’Henri Fluchère
Production Comédie-Nouveau Théâtre de Poche
A la Cathédrale Saint-Pierre
Du 8 au 23 juin 1976

Mise en scène : Dominique Lambert
Costumes : Daniel Jassogne
 

Distribution :
Thomas Becket : Gérard Carrat
Hughes de Morville : Jean Bruno
Guillaume de Tracy : Georges Milhaud
Renaud Fils Ours : Michel Cassagne
Richard le Breton : André Faure
Un prêtre : Nicolas Rinuy
Un prêtre : André Neury
Le héraut : Richard Vachoux
Chœur des femmes : Josette Chanel, Marie-Claude Joliat, Antoinette Martin, Patrizia Maselli, Gisèle Sallin